Jean-Louis Cigliana, vainqueur du rallye aérien Toulouse-Saint Louis du Sénégal Depuis 1983, une vingtaine d’équipages s’embarquent début octobre à Toulouse pour rallier Saint Louis du Sénégal dans des avions à 4 places, sur les traces des pionniers de l’aéropostale. Jean-Louis Cigliana, vainqueur en 2003 et 2004 sur le Ville de Revel, nous fait partager sa passion pour ce rallye mythique. Un rêve qui devient réalité |
2004 - Escale sous le soleil d'Agadir pour Georges Bénécos, Jean-Louis Cigliana et sa fille Camille |
Pour occuper ses loisirs, Jean-Louis décide de pratiquer le parachutisme. Inquiète à cette idée, son épouse lui offre pour son anniversaire en 1995, sa première leçon d’aviation à l’aéroclub de Revel. C’est le coup de foudre pour Jean-Louis qui passe le brevet de pilote en 22 mois. Un peu avant son obtention, en mai 1997, son instructeur Bernard Vilotte, lui propose de participer au rallye mythique Toulouse Saint Louis du Sénégal. Cette idée le séduit immédiatement. En octobre 1997, Jean-Louis effectue son premier rallye alors qu’il n’a que 60 heures de vol.
Et depuis 9 ans, Jean-Louis y participe chaque année, sauf en 2000 lors de la naissance de son troisième enfant.
Naissance du rallye : retrouver les sensations de «Courrier Sud»
André Sabas, journaliste et pilote, est à l’initiative de ce projet. Il s’agissait de reprendre la route du ciel afin de pérenniser l’idée de Latécoère, sur le trajet qui a vu l’émergence de personnalités marquantes au travers d’une expérience commerciale : Saint-Exupéry, Mermoz ou Daurat. Le rallye aérien Toulouse Saint Louis (TSL) est créé en octobre 1983. Placé sous le haut patronage de S.A. le Prince héritier du Maroc, il bénéficie du soutien de la Région Midi-Pyrénées et de l’agrément de la fédération française d’aéronautique.
Parmi les membres fondateurs, le pilote Pierre Jarrige, bien connu à Revel, qui a fait partie de l’organisation jusqu’en 2004.
Sur les traces de la Ligne de Latécoère
C’est le plus grand rallye aérien régulier du monde. En 15 jours, les pilotes parcourent près de 10 000 kilomètres. Ils partent de Toulouse, rejoignent Saint Louis du Sénégal, puis reviennent à leur point de départ, en faisant escale une à deux fois par jour.
C’est un itinéraire fabuleux sur deux continents, cinq pays traversés, le survol de la mer et du désert, des étapes en plein Sahara, l’Afrique profonde, jusqu’au fleuve Sénégal.
Plus de 1000 pilotes français, suisses, américains, belges, canadiens, polonais, marocains, italiens, allemands, sénégalais et grecs y ont participé. Chaque année, une vingtaine d’équipages, composés de 3 personnes en moyenne, tentent cette aventure qui retrace le trajet de la Ligne de Latécoère.
Des personnes de tout milieu, de toute catégorie sociale, participent à ce rallye ; c’est une source d’é-change, de partage d’expérience entre des équipages qui ont noué des amitiés et se retrouvent une fois par an autour de leur passion.
Le TSL est organisé par des bénévoles de l’association «Air aventures» de l’aérodrome de Toulouse-Lasbordes qui le préparent toute une année, afin qu’il se déroule dans des conditions de sécurité optimales (technique, parcours, santé des participants, ravitaillement,…).
Le rallye est financé par des sponsors, qui y voient un vecteur important en terme d’image : dynamisme, volonté de s’ouvrir sur l’extérieur.
Il a également une dimension humanitaire : c’est ainsi que par exemple l’équipage de Jean-Louis Cigliana, en association avec le Rotary club de Balma, apporte du matériel et des médicaments aux écoles de Saint Louis.
Un entraînement intensif
Les pilotes s’entraînent tout au long de l’année, afin de bien connaître les appareils, mais également la carte du ciel et les conditions météo, qui peuvent être délicates. Il faut se préparer à réagir rapidement en cas de mauvais temps, de maladie ou de panne imprévue en vol.
Deux mois avant le départ, les pilotes réalisent des vols plus adaptés à la compétition pour se mettre en situation et retrouver les automatismes de la compétition. Ils s’assurent également que tous leurs vaccins sont à jour. Ce rallye représente une épreuve physique autant que technique, le corps doit s’habituer aux changements de température, d’alimentation, de pression. Des médecins suivent afin d’intervenir en cas d’urgence, car il n’est pas sûr de se poser à proximité d’un dispensaire et encore moins d’un hôpital.
Des avions performants
Ce sont de petits avions 4 places : WASSNER, CESSNA, ROBIN, PIPER, TB20.
2004 - Le ville de Revel fait escale sur l'aéroport d'Alméria lors de son retour vers la France
Le rallye donne l’occasion aux pilotes de développer leurs compétences aéronautiques, car ils doivent parfois piloter des avions différents de ceux qu’ils ont l’habitude d’utiliser pendant les entraînements. Les capacités et les exigences de chacun des appareils sont différentes, et les pilotes doivent savoir s’y adapter. La puissance des moteurs varie de 180 à 250 chevaux. Ces appareils doivent être performants en termes de sécurité et d’autonomie, car il s’agit d’un long voyage qui met la technique et les hommes à l’épreuve.
Jean-Louis nous raconte qu’en raison de problèmes techniques ils ont parfois dû se dérouter sur un autre aérodrome ; cela lui est arrivé notamment à Castellon de la Plana, sur une piste en bord de mer.
Un tracé légendaire
Les pilotes suivent le tracé de l’Aéropostale, qui succéda aux lignes Latécoère. Ils survolent l’Espagne, le Nord du Maroc, le désert du sud marocain et de la Mauritanie, avant la découverte de Saint Louis, au cœur de l’admirable paysage de l’embouchure du fleuve Sénégal. Des étapes qui font rêver : Alicante, Casablanca, Agadir, Cap Juby. C’est à Cap Juby que Saint Exupéry avait été mandaté par Daurat pour jouer un rôle de conciliateur avec les tribus locales, et où il conçut Terre des Hommes et Le Petit Prince. Cap Juby est, nous dit Jean-Louis, comme un sanctuaire du rallye : la piste y est ouverte une fois par an, elle est en terre, parsemée de coquillages concassés, et représente pour les pilotes passionnés la quintessence de ce voyage qui traverse les frontières et le temps. Après Cap Juby, Laayoune est l’étape technique où l’on refait le plein et vérifie les appareils. Puis Dakhla, Nouakchott, Nouadhibou, et enfin Saint Louis du Sénégal.
2004 - Escale sur la mythique piste en terre de Cap Juby
D’autres villes ont été retenues lors des précédentes éditions du rallye comme étapes : Marrakech, Sabadel, Castellon de la Plana, Rabat, Chinghetti et cette année Essaouira (ancienne Mogador).
En 15 jours, les pilotes font environ 20 étapes. Ils ne volent pas de nuit car certains n’ont d’ailleurs pas la qualification requise. Ils parcourent environ 800 kilomètres par jour ; les avions ayant une autonomie de 600 milles nautiques (1000 kilomètres), le ravitaillement doit être quotidien.
A chaque étape, les pilotes vont à la rencontre des autorités afin de faire viser leur carnet de bord en souvenir.
2004 - L'équipage à bord du ville de Revel entre Cap Juby et Laayoune
Des épreuves variées
Le départ est donné le premier week-end d’octobre, afin d’éviter le Front Inter Tropical qui amène tempêtes et cyclones autour de l’équateur. Cependant, Jean-Louis nous raconte qu’en 1999, le FIT était en retard ; les pilotes ont alors vu le désert «en crue» : oueds, cascades surgissant de nulle part ; fleuves aux embouchures en forme de corolles marron à l’orée des océans. Les pilotes se retrouvent dans des orages, la météo devient plus imprévisible, ce qui est dangereux sur des trajets aussi longs. Le plafond est très bas, la visibilité faible, il s’agit de ne pas se retrouver au milieu d’un grain qui pourrait emporter le petit avion. Jean-Louis a déjà dû faire face à ces mauvaises conditions météo, qui changent rapidement ; il sait qu’il faut réagir au plus vite et au plus juste.
Durant ces 15 jours, la course est jalonnée par une trentaine d’épreuves classées jusqu’au classement géné-ral : temps imposé par rapport à la vitesse de l’avion et en tenant compte du vent ; visualisation au sol, à l’aide d’une carte aéronautique ; détermination de l’orientation magnétique d’une flèche au sol, de la distance entre deux croix, estimation de la consommation de l’avion sur une étape afin d’être au plus juste au moment de remplir les réservoirs (d’où l’intérêt de bien connaître son avion), atterrissage de précision. Parfois elles sont mélangées : ceci doit être réalisé en une poignée de secondes à la verticale de la cible.
Les équipages doivent également répondre à des questions sur les techniques de pilotage, la météo (en anglais), l’histoire et la culture des pays traversés, l’histoire de l’Aéropostale.
L’équipage gagnant est celui qui totalise le moins de points de pénalité, c’est à dire qui a fait le moins de fautes et répondu le mieux aux questions. Ce n’est pas forcément le premier arrivé à Toulouse.
2003, la consécration
Cette année-là, le Trinidad TB20 n°7 «Ville de Revel», arrive vainqueur de la course ; à son bord : Georges Bénécos pilote de nationalité grecque, ainsi que Jean-Louis Cigliana. Jean-Louis et son coéquipier n’avaient pourtant jamais volé ensemble auparavant ; c’est un peu le hasard qui les a réunis, car au dernier moment, le pilote avec lequel Jean-Louis devait embarquer s’était désisté.
Jean-Louis et ses coéquipiers ont ressenti une grande fierté. Selon lui, cette victoire a été le fruit de leur complémentarité : Georges a une excellente maîtrise de son appareil et Jean-Louis a une bonne connaissance des épreuves et de la compétition.
En 2004, les deux pilotes réitèrent leur exploit en se plaçant à nouveau à la tête de la course avec Camille, 17 ans, la fille aînée de Jean-Louis, apprentie pilote, la plus jeune participante.
Octobre 2004 - Remise du 1er Prix le lendemain de l'arrivée
par le Maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, salle des Illustres au Capitole
Une occasion d’échanges
Chaque étape est pour les participants l’occasion d’aller à la rencontre des populations locales. Elles les attendent chaque année pour assister à ce spectacle aérien : des hommes et des femmes dont on entend d’abord le bruit des appareils, et qui viennent ensuite se poser pratiquement sous leurs yeux car souvent les petites pistes ont des infrastructures mo-destes. De Toulouse à l’Afrique, en passant par l’Espagne, c’est un véritable «kaléidoscope» de paysages et de cultures . C’est ainsi qu’une année, Jean-Louis se souvient avoir dansé un rock incongru au milieu du désert avec les autres pilotes et leurs hôtes locaux, au son des guitares des marocains. Une vraie volonté de partage entre les pilotes et ceux qu’ils vont rencontrer sur place.
A l’arrivée à Saint Louis du Sénégal, les pilotes survolent le pont Faidherbes menant à l’île où se trouve l’hôtel de la Poste fréquenté par les pilotes de l’aéropostale. C’est parfois l’occasion de retrouvailles avec des personnes déjà rencontrées les années précédentes et avec qui ils avaient alors sympathisé ; on parle, on échange ses impressions ; c’est aussi le plaisir d’apporter matériel et médicaments.
A l'arrivée, les liens se renouent avec les amis sénégalais venus accueillir les participants
Un dépassement de soi
En plus de lui permettre d’approfondir les relations humaines, ce rallye est pour Jean-Louis une source d’épanouissement personnel, une façon de se mesurer à soi-même. Ce «pèlerinage aérien» sous forme de compétition est selon lui une leçon d’humilité : «on va à la recherche de ses propres limites, on apprend à gérer les situations délicates en vol, à se dominer, à gérer son stress dans des conditions extrêmes». Il faut une maîtrise de soi totale pour passer outre les éléments imprévus.
En 2005, l’équipage de Jean-Louis n’est arrivé qu’à la septième place, dû à un atterrissage de précision raté à Lasbordes, ultime étape, alors que la victoire était très proche tout au long de la course (toujours classé entre la 1ère et la 3ème place pendant la compétition).
Cette année, Jean-Louis compte bien prendre sa revanche. Le 1er octobre, il prendra le départ du rallye 2006 à l’aérodrome de Lasbordes à bord d’un CESSNA 182, avec le pilote Eric Delga, Président de l’aéroclub Clément Ader à Muret. Avec l’espoir de remporter la victoire encore une fois et en tout cas en étant assuré d’ores et déjà d’y prendre énormément de plaisir.
Nous lui souhaitons bonne route sur les traces des pionniers de l’aéropostale !
Interview :
Sophie BALDY - Christine LE MORVAN
Pour plus d’informations :
www.airaventures.idinformatique.fr
Crédit photos : collection Jean-Louis Cigliana